Vice-présidente honoraire de l’association Teamates Gaming,
ancienne eSportive à niveau national spécialisée FPS : voici
notre deuxième invitée pour ce Paroles de Gameuse.
Entretien avec Tiphanie KEVESI alias Tiifany.
ARNAUD :
Bonjour Tiifany, est-ce que tu peux nous expliquer ce qui t’a plongé dans le monde des jeux vidéo ?
TIIFANY :
J’ai été attirée parce que ma mère jouait quand j’étais petite. Elle jouait à Mario sur la NES, donc je passais mes week-ends à jouer avec elle. J’ai connu le gaming comme ça.
Après, je suis partie jeune de chez mes parents – à 16 ans – donc j’ai acheté une Xbox et le jeu Halo pour mon propre appart. Sur ordi, je jouais déjà un peu aux Sims depuis mes 12-13 ans.
Puis, j’ai eu mon premier copain qui m’a offert un PC, et je me suis mise à jouer à Call of Duty. J’avais un assez bon niveau, et à l’époque, il y avait Teamspeak.
De fil en aiguille, j’ai rencontré des joueurs qui jouaient en équipe. Et comme ça remonte à 15 ans en arrière, en tant que fille, j’avais des facilités à entrer dans une équipe exclusivement masculine.
Comment dire qu’il y avait peu de filles qui jouaient sur ordi à Call of Duty, et avec un certain niveau…
Ça se passait bien, ils étaient tous plus vieux que moi, on a même gagné plusieurs compétitions. Je pense tout de même qu’ils étaient largement meilleurs que moi, et j’avais quand même un léger ressenti de mon côté.
N’empêche qu’ils ont toujours été bienveillants, aucune remarque, aucune critique : on rigolait même tous ensemble. J’ai fini par arrêter la compétition pour des raisons personnelles avec mon copain, et comme je me suis focus à fond sur mon travail en hôtellerie, j’ai mis une croix sur le jeu, en quelque sorte.
Comment es-tu arrivée à la TMG alors, si tu avais plus ou moins quitté l’univers du gaming ?
Mon chéri était président de l’association avec SEM, donc j’ai rejoint la TMG parce que ça m’a redonné un petit boost en tant que maman. Ça m’a replongé dans le jeu vidéo et j’étais la seule nana en arrivant, donc ça permettait de varier les points de vue.
Aujourd’hui, je me consacre plus sur ma vie IRL tout en continuant à jouer de temps en temps à Fortnite, Valorant ou Genshin Impact.
Selon toi, comment pourrait-on apporter plus de visibilité – et donc de succès – au eGaming féminin ?
En fait, le problème, c’est que tu ne peux pas.
Il n’y a qu’une minorité de femmes dans le monde du gaming professionnel, et elles jouent avant tout par passion. Malheureusement, certaines streameuses – par exemple – ne donnent pas une bonne image de ce qu’on est vraiment, en jouant de leur corps pour être plus facilement connues.
Et en tant que femme amateur, il faut bien admettre qu’on n’a pas de parole, on ne représente rien. Par contre, faire partie d’une association, montrer qu’on est présente, c’est déjà une bonne action.
Tu sais, c’est tellement toxique déjà d’être une fille ou une femme qui joue aux jeux vidéo, à cause de tous ces amalgames et la mentalité sur certains jeux. Encore aujourd’hui, sur Valorant, je me fais humilier – véritablement humilier – dans le chat vocal avant même que la partie n’ait commencé.
Certaines streameuses et joueuses pro ont même reçu des menaces de cambriolages ou de viols, c’est juste inadmissible.
Il y a donc un gros travail à faire sur les mentalités, en premier lieu.
Tu joues depuis presque une vingtaine d’années maintenant, est-ce que tu dirais que la violence verbale, les injustices, t’ont toujours suivies dans le monde du gaming ?
Rends-toi compte : tu lances une partie parce que tu veux passer un bon moment avec des potes, et à chaque partie, tu te fais trash pour le simple fait d’être une nana… ça t’énerve. Tu te dis : « qu’est-ce qui est différent de lui et de moi, à part notre sexe ? ». Est-ce que c’est avec « ça » qu’on joue aux jeux vidéo ? Non, donc c’est ridicule et discriminant.
Pour eux, c’est facile d’insulter incognito.
Il y a peut-être aussi certains jeux avec des communautés pires que d’autres. Les FPS notamment.
Je vais te donner un exemple d’il y a 15 ans, qui date de ma première compétition en LAN avec les garçons. Tout le monde restait bloqué sur moi en disant « Non mais c’est une fille », « Elle joue vraiment avec vous »… Certains m’ont même demandé si je faisais juste une blague en m’étant assise à la table des garçons. Je me sentais comme une bête de foire.
Au final, est-ce que tu as pu retenir tout de même quelque chose de positif de ces dizaines d’années d’expérience ?
Je suis toujours tombée avec des coéquipiers qui étaient adorables avec moi ! Ils prenaient systématiquement ma défense et me répétaient que j’avais ma place dans l’équipe.
Je pense aussi à une de mes expériences avec la TMG où à un moment, j’ai été coach d’une équipe entièrement masculine sur Valorant, et ça s’est très bien passé. Je discute encore parfois avec certains de mes anciens joueurs.
Un autre truc que je trouve super aussi, ce sont les équipes féminines françaises de la Kcorp et de Vitality. Elles ont un très bon niveau, sont très jolies mais n’en jouent pas, et ont le mérite d’être très attachantes.
En interne, je n’ai jamais eu de soucis, sauf avec un jeune, mais il s’est rapidement excusé.
C’est plus le monde extérieur qui était fatigant pour moi à force, tu vois. C’est un vrai ras-le-bol de devoir se justifier en permanence.
Est-ce qu’on va insulter un homme, nous, en tant que femmes, parce qu’il tricote ? Non, on s’en moque.
Des demandes de snapchat, de nude et j’en passe. Il y a déjà quelques actions de faite pour réduire ça dans les jeux, mais ce n’est pas suffisant, et on ne peut pas faire grand-chose de plus à notre niveau.
Encore une fois… une question de mentalité.
Est-ce que tu as un dernier message à transmettre, quelque chose que tu n’aurais pas abordé jusque-là ?
C’est bien ce que tu fais, d’aller voir des filles et de demander leurs ressentis, leurs points de vue sur comment elles se sentent dans l’eSport. Il doit sûrement y avoir certaines filles ou femmes qui n’ont pas du tout vécu les mêmes choses que moi.
Dans tous les cas, ça montre qu’on est là, qu’on existe dans cet univers du jeu vidéo, et peut-être que ça permettra aux gens de connaître les femmes un peu mieux. Qu’ils arrêteraient d’être con !
Un grand merci encore à Tiifany d’avoir partagé son expérience avec nous.
En lui souhaitant une bonne continuation ou – comme on dit – GL pour la suite !